فهم المجتمعات المغاربية

Sous la direction de Myriam Aït-Aoudia et Alia Gana

Dossier 23-2020-II


Date limite de soumission des résumés (500 mots au maximum) : 1 mars 2019

Sélection des propositions : 21 mars 2019
Date limite d’envoi des textes : 1er octobre 2019

Retour des textes après évaluation : 1er février 2020
Edition du volume : juin 2020


L’intégration des partis islamistes au jeu politique a fait l’objet de nombreux travaux, avec une attention particulière portée à l’exercice du pouvoir. Une ligne dominante se dégage : l’inclusion des partis islamistes au champ politique institué les conduit à développer une conduite « pragmatique » et une idéologie « modérée ». S’agissant du champ francophone, nombreuses sont les études de cas qui soutiennent cette thèse (notamment Tazaghart 2003 ; Amghar 2008 ; Dris-Aït Hamadouche 2009 ; Rachik 2013, Redissi, 2017). Les travaux à visée comparative présentent des conclusions similaires. Si la diversité interne de l’islamisme n’est plus à démontrer (des djihadistes aux partis politiques), les organisations légales seraient caractérisées par leur propension « à faire des concessions idéologiques » (Bonnefoy et Burgat 2018).

Ces travaux pointent l’affaiblissement de l’engagement proprement religieux des partis et le renoncement aux projets initiaux de bouleversement de l’ordre politique, institutionnel et social. Les rares travaux qui s’intéressent à l’intégration électorale au niveau local, insistent dans une perspective proche, sur « l’atténuation de l’idéologie révolutionnaire initiale », sur « le pragmatisme », et la « dé-islamisation » de ces organisations islamistes (Signoles 2009). Dans le monde académique anglo-saxon des études sur l’islamisme politique, se développe depuis une vingtaine d’années la théorie de « l’inclusion-modération », étonnamment peu discutée en France malgré une proximité de raisonnement avec les travaux susmentionnés.

1-La théorie de l’« inclusion-modération » revisitée
Suscitant de nombreux débats, cette théorie mérite notre attention critique et ce pour plusieurs raisons : elle constitue aujourd’hui la principale grille d’analyse de l’intégration des partis islamistes au jeu politique institué ; elle mêle – sans toujours suffisamment de précautions – catégorie académique et catégorie politique mobilisée par les acteurs étudiés ; elle fait l’objet d’un débat fort stimulant tant méthodologique que conceptuel dans la littérature anglo-saxonne, mais elle laisse néanmoins de côté des aspects pourtant fondamentaux de la compréhension du phénomène.

Une présentation synthétique est ici nécessaire. Le point de départ est donc le suivant : l’intégration des organisations islamistes dans un régime pluraliste conduit à leur modération (Schwedler, 2011 ; Wegner et Pellicer 2009), tandis que leur exclusion du jeu politique formel contribue à leur radicalisation (Wiktorowicz 2004 ; Hafez 2003). A partir d’enquêtes empiriques (portant sur un ou plusieurs partis), trois points en particulier font l’objet d’un débat : la définition de la modération d’une part ; les mécanismes qui produisent la modération d’autre part ; et enfin la méthode et les types d’enquête.

S’agissant de la définition de la modération, partant d’une discussion sur le contenu même de la modération (distanciation par rapport au radicalisme religieux et/ou adhésion aux normes libérales du pluralisme démocratique) (Browers 2009), les auteurs distinguent deux types de modération : « définition procédurale » et « définition substantielle » pour Schwedler (2013) ou, dans un sens proche, « modération tactique » et « modération idéologique » pour Karakayaa et Yildirimb (2012), les deux types n’étant pas nécessairement corrélés. S’agissant des facteurs de la modération, certains auteurs distinguent les facteurs internes (changement dans le recrutement et les structures des partis) des facteurs externes (restrictions légales du pluralisme partisan ou ouverture des structures d’opportunité favorisant l’intégration des partis islamistes) (Brocker et Künkler, 2013), tandis que d’autres avancent l’hypothèse que le bouleversement des contextes institutionnels (suite aux « révolutions arabes » de 2011) modifie la logique d’inclusion contrôlée et par conséquent celle de la modération (Schwedler 2013). Sont également pointées les possibilités de disjonction entre modération et démocratisation (Tezcür 2010) tout comme les cas de « réversibilité » de la modération d’une organisation islamiste (Ayan-Musil 2018). Ces deux premières lignes de discussion soulèvent enfin des débats méthodologiques. La possibilité même de distinguer les deux types de modération (idéologique/comportementale) est interrogée (Ayan-Musil 2018), tout comme les facteurs de la modération et de la radicalisation (Steuer 2018). C’est également le cas de Annette Ranko (2014), qui, partant d’une critique de l’approche déductive adoptée par la majorité des auteurs, soutient que seule une approche compréhensive et inductive permet de saisir le caractère contradictoire et sélectif de ce processus de changement. Elle rejoint la proposition de Wickam (2013) de prendre en compte le caractère multidimensionnel du processus de changement/modération.

Les deux auteures plaident pour l’analyse des interactions que les partis islamistes développent à la fois avec l’Etat mais aussi avec l’ensemble des forces sociales et politiques en accordant une attention accrue aux différents types de questions et activités développées par les organisations islamistes et aux ressources qu’ils y consacrent (Wickam, 2013). Le débat n’est évidemment pas clos. Ces travaux ouvrent de nouvelles discussions sur les types et les processus de changement (ou leur absence) induits par l’intégration au champ politique, sur l’évolution des contraintes et opportunités perçues par les différentes parties, sur la pluralisation des discours, des modes d’action et des modèles de mobilisation des organisations islamistes (Gana et al. 2018). Les enjeux théoriques et méthodologiques sont nombreux et les contributions de ce numéro de L’Année du Maghreb pourront s’en saisir avec intérêt.

2-Intégration politique et engagement religieux
Dans une perspective proche de celle de l’inclusion-modération, alors que de nombreux travaux opposent « politique » et « religion », le premier étant supposé écraser le second suite à l’intégration des organisations islamistes au jeu politique (Roy, 1999 ; Bayat 1996 et 2013), il nous apparaît plus fécond de saisir les modalités conflictuelles de construction des frontières entre champs sociaux (Barbet 1991).

L’opposition nette entre da’wa d’une part et participation électorale et institutionnelle d’autre part ne résiste en effet pas à l’analyse si l’on adopte une perspective relationnelle et compréhensive (Eickelman et al. 1996, Aït-Aoudia 2015). Ainsi, plusieurs travaux ont mis en évidence les articulations entre organisations partisanes islamistes et associations de bienfaisance ou de prédication religieuse et leur rôle dans les stratégies d’intégration politique des partis islamistes (Ben Nefissa 2002, Vannetzel 2016, Merone et al. 2018). Les « intersections » entre mouvements religieux « plus radicaux » et partis islamistes ainsi que l’ambivalence des transformations de l’islamisme partisan ont été également mis au jour (Blanc 2018, Seniguer 2017). D’autres analyses du processus de normalisation des formations islamistes ont insisté sur les interactions, voire les « transactions collusives » avec les pouvoirs autoritaires (Geisser et Gobe 2008, Boubekeur 2008, Allani 2009, Seniguer, 2012). Enfin l’insertion des partis islamistes dans des réseaux transnationaux, à caractère religieux, politique, économique ou social (Clément 2006 ; Roy 2004 ; Otayek 2003) interroge aussi sur les formes d’intégration de ces partis dans le jeu politique et sur les modèles économiques, sociétaux et politiques qui inspirent leurs discours et leurs actions.

Dans ce cadre, un autre problème doit être soulevé : de nombreux partis se présentant eux-mêmes comme « modérés » – et corrélativement comme « pragmatiques » – il est indispensable de clarifier le statut du terme. En effet, toute la difficulté des sciences sociales est d’utiliser des termes identiques aux mots du langage ordinaire et politique. Le chercheur doit alors s’efforcer de distinguer autant que possible les usages politiques des usages académiques, et être attentif à la circulation des notions. On l’aura compris, ce dossier n’a donc pas pour objet d’évaluer le degré de « modération » ou de « radicalisation » des organisations partisanes, comme c’est encore trop souvent le cas. Il propose de saisir les fluctuations même de la signification des labels et les conflits politiques autour de la définition de « l’acceptable et de l’inacceptable » en politique (Collovald et Gaïti 2006).

Se détacher d’une perspective essentialiste et univoque suppose alors d’intégrer les luttes de définition et de repérer les variations des représentations et des pratiques en situation. Cela suppose également d’être attentif à la porosité du champ politique, notamment à la multipositionalité des acteurs partisans (Combes 2011) ou à l’ancrage social des partis au niveau local (Sawicki 1997). Ce dossier entend ainsi replacer les problématiques liées à l’intégration institutionnelle des partis islamistes dans les sciences sociales « normales » (sociologie des organisations partisanes et associatives, sociologie du droit et de l’action publique, sociologie électorale, etc.), seule démarche susceptible d’éloigner la recherche sur cet objet surpolitisé, d’une lecture normative et d’un « exceptionnalisme » méthodologique et conceptuel (Dobry 1995).

Ce numéro de L’Année du Maghreb propose de rendre compte de la variété des situations d’intégration au jeu politique : l’exercice du pouvoir en position majoritaire ou exclusive, en position minoritaire dans une coalition, que ce soit au niveau national ou au niveau local ; mais aussi la constitution de partis politiques qui restent, pour diverses raisons, en marge des institutions, tout en concourant aux suffrages. Les recherches comparées – entre plusieurs périodes ou plusieurs partis dans un pays ou entre divers cas nationaux – sont les bienvenues. Sous réserve des propositions reçues, ce numéro répondra à trois axes problématiques.

Axe 1 : (Ne pas) entrer dans le jeu politique, en être exclu
Le premier axe entend analyser les modalités – politiques, mais aussi sociales – d’entrée dans le champ politique, ainsi que ses échecs (du fait notamment de l’exclusion par les autorités publiques, c’est le cas notamment du FIS en Algérie et des Frères musulmans en Egypte). Il s’intéressera tant à l’encadrement juridique des partis politiques (conditions juridiques de légalisation des partis et leur application), qu’aux débats internes au champ religieux militant quant à la légitimité ou l’illégitimité de l’intégration institutionnelle. Une attention particulière sera portée aux propositions analysant les relations (coopératives et conflictuelles) entre partis et institutions publiques en charge de la régulation politique (parlement, gouvernement, services de sécurité, etc.) d’une part, et entre partis et mouvements islamistes non partisans d’autre part. Ce dossier propose ainsi de s’arrêter sur le moment de l’intégration au champ politique – ses modalités conflictuelles et incertaines – avant d’en interroger les effets sur les partis politiques en terme de changement idéologique et/ou comportemental pour reprendre l’une des principales distinctions de la thèse de l’ « inclusion-modération ».
Axe 2 : Les partis et l’action publique
Le second axe propose d’étudier les modalités de l’action publique mise en œuvre par les partis islamistes une fois intégrés aux institutions nationales et/ou locales. Il suppose de distinguer plusieurs configurations d’intégration institutionnelle : l’islamisme politique est en situation de gouverner seul ; en coalition dans laquelle il est majoritaire ou minoritaire ; enfin il occupe une place d’opposition instituée. Une comparaison diachronique sera la bienvenue (certains partis ont connu plusieurs de ces positions au cours de leur histoire : par exemple, les Frères musulmans en Egypte, le Hamas en Algérie, le PJD au Maroc, etc.). Une attention particulière sera portée à l’étude des réseaux, notamment associatifs sur lesquels les partis s’appuient, à la place du référent religieux dans l’action publique, aux politiques publiques adoptées et/ou soutenues par les partis islamistes, à la circulation (nationale ou transnationale) des modèles de gouvernance.
Axe 3 : Les interactions et les réseaux des partis islamistes
Bien que l’insertion des partis islamistes dans des réseaux et leurs interactions avec divers groupes soit une question transversale à l’ensemble des champs dans lesquels ils se déploient, une attention particulière sera accordée à cette dimension – déjà présente dans les deux premiers axes de cet appel à contributions.

Elle permet en effet à la fois de mieux saisir les modalités d’intégration politique des formations islamistes et d’éclairer sous un nouveau jour le débat sur la modération. La réflexion proposée s’articule autour des questions suivantes : Comment les partis islamistes ont-ils géré leur accession au pouvoir vis-à-vis de la mouvance islamiste plus large ? Quels changements ont-ils adoptés pour sécuriser leur rôle politique et quels en sont effets sur leur base sociale ? Sur quels réseaux, notamment associatifs, les islamistes s’appuient-ils pour obtenir des voix et pour gouverner ? Il s’agit ici de mieux prendre en compte la dimension relationnelle des processus d’intégration et de « modération » des partis islamistes et de susciter des contributions permettant de mieux cerner les effets qu’exercent leurs interactions multiples à la fois avec les divers groupes de la mouvance islamiste et les forces politiques séculières. Nous encourageons des contributions permettant de nourrir le débat théorique et conceptuel autour de la question de la modération et d’analyser, à travers des approches empiriques et localisées, les stratégies et les dynamiques islamistes dans les champs politiques en Afrique du Nord.

 

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