En France depuis février, Mohammed VI laisse derrière lui un pays en ébullition et des chantiers en attente. Son absence suscite de plus en plus critiques et inquiétudes malgré une intense communication sur les réseaux sociaux
RABAT – Pour avoir des nouvelles de leur roi lorsqu’il est en voyage à l’étranger, les Marocains ne consultent pas l’agence de presse officielle, mais les réseaux sociaux.
Tranchant avec la relative discrétion qu’il affiche depuis quelques mois au Maroc, Mohammed VI, par son penchant pour les selfies à l’étranger, supplée à la communication officielle minimale qui entoure ses fréquents voyages. Il ne manque pas de poser en compagnie de Marocains résidant à l’étranger ou d’artistes réputés proches de lui.
Sans nouvelles de lui depuis plusieurs semaines, les Marocains découvrent donc avec surprise qu’il a subi une opération chirurgicale le 26 février à Paris, suite à un trouble du rythme cardiaque. Ils l’apprennent par le biais d’une photo montrant Mohammed VI, alité, entouré de ses enfants, de son frère et de ses sœurs. (…)
« Un vide rempli par l’entourage royal »
Peu commenté par la presse marocaine, « l’absentéisme du roi est régulièrement critiqué sur les réseaux sociaux, son entourage et les cercles diplomatiques s’en inquiètent en sourdine », écrivait le journaliste espagnol Ignacio Cembrero dans un article paru en octobre 2017. Il relevait l’inquiétude de ces cercles
« à propos de la stabilité du Maroc, à cause de ces absences réitérées qu’aucun officiel marocain n’explique vraiment à ses interlocuteurs européens. L’exercice quotidien du pouvoir pèse-t-il trop à Mohammed VI ? A-t-il régulièrement besoin de se sentir plus libre sous d’autres cieux ? »
se questionnait-il, au même titre que le journaliste marocain Ali Anouzla.
Ce dernier écrivait en 2013 : « Mohammed VI, qui accumule autant de titres royaux, a-t-il le droit de s’absenter si souvent et pendant si longtemps sans même annoncer la date de son voyage et sa durée ? »
Malgré l’adoption d’une nouvelle Constitution qui élargit le champ des pouvoirs du chef du gouvernement, l’essentiel des pouvoirs est entre les mains du roi
« S’interroger sur les absences du roi Mohammed VI et sur ses séjours répétés, notamment en France, ne relève pas de la sphère privée du monarque. C’est un phénomène intrigant qui se situe au niveau le plus élevé du pouvoir politique, la monarchie, et a sans doute un impact sur l’image et l’exercice du pouvoir au Maroc », commente Omar Brouksy, pour qui « il est tout à fait légitime qu’il soit analysé et commenté librement par les observateurs et les citoyens ». Car malgré l’adoption d’une nouvelle Constitution qui élargit le champ des pouvoirs du chef du gouvernement, l’essentiel des pouvoirs est entre les mains du roi.
« Au Maroc, le pouvoir politique – le vrai pouvoir, pas celui qu’exerce le figurant Saâdeddine el-Othmani en tant que chef du gouvernement – comme tout pouvoir autocratique et absolu, s’apparente à la personne qui l’exerce, voire à ses humeurs. C’est ce que les constitutionnalistes appellent ‘’le pouvoir personnel’’. Il est très lié à la personne de son détenteur, en l’occurrence le roi Mohammed VI », rappelle le journaliste.
L’absentéisme du roi a donc « un impact direct sur l’exercice du pouvoir parce que les gens se demandent de manière quasi spontanée : puisque le roi est absent, qui exerce le pouvoir ? Qui gouverne ? Qui mène la barque ? C’est un réflexe oriental traduisant une culture non démocratique qui trouve naturel qu’une personne, le roi, dirige seule le bateau. Les absences du roi créent donc, de ce fait, une situation anormale, un vide qui est souvent rempli par ce qu’on appelle l’entourage royal. »
Sur le plan sécuritaire, « il est épaulé par le patron de toutes les polices du royaume, Abdellatif Hammouchi. À eux deux, ils gèrent depuis plusieurs mois les troubles sociaux, au Rif et à Jerada, en adoptant à la lettre la stratégie du ‘’tout répressif’’ avec l’appui d’une justice qui est tout sauf indépendante », rappelle-t-il.
Car au moment où Mohammed VI séjourne en France, le Maroc traverse une séquence pour le moins sensible : une multiplication des mouvements protestataires, à Al Hoceïma et à Jerada, qui questionnent Mohammed VI sur l’efficience de la politique de développement suivie jusqu’ici, et dont le roi lui-même a reconnu l’échec, ou encore le report de visites de chefs d’État étrangers, dont le roi d’Espagne, ajournée à plusieurs reprises.
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